Al Akhtal Al Saghir
(1885 - 1968)
Oeuvre par Rachid Wehbé de la collection de la présidence de la République à Baabda
Poète, publiciste
Avant d'aborder la vie et l’oeuvre de l'un de nos grands poètes contemporains, Béchara El Khoury, surnommé Al Akhtal Al Saghir, j'aimerais citer deux événements importants qui furent à l’origine de la renaissance littéraire et poétique libanaise.
1- Les efforts intenses déployés par les anciens élèves du collège maronite de Rome fondé en 1584 dans le domaine culturel.
2- L’arrivée de Napoléon Bonaparte en Orient.
Certes, le collège maronite de Rome était un trait d’union entre l’Orient et l'Occident et parmi ses anciens élèves les plus brillants figure Joseph-Simon Assémani.
L'arrivée de Bonaparte en Orient a également ouvert de nouveaux horizons culturels dans notre pays. C'est ainsi que rien ne devait sembler plus juste au lendemain de cette féconde et merveilleuse époque, où le Petit Liban et l’Egypte virent éclore à la fois tous les génies littéraires, poétiques et artistiques dont les chefs d'oeuvres, multipliés comme par enchantement perpétuaient les noms de Sleiman Boustany, de Khalil Moutran, des Yaziji, des Barakat, des Mallat, et des Nakhlé. N'oublions pas également, que le Petit Liban à l’époque était une terre fertile pour l'épanouissement de la littérature et de la poésie, à cause de son climat tempéré, de son soleil radieux et de sa nature sauvage et pittoresque. Malheureusement, avec l’occupation ottomane, qui durera cinq siècles, les hommes de lettres libanais fuyèrent la terreur et l'injustice et se réfugièrent en Egypte. C'est ainsi que le mouvement littéraire contemporain se développa rapidement à l'ombre des Pyramides et ce sont précisément les écrivains et les poètes libanais tels Gergi Zeidan, Daoud Barakat, Elia Abou-Madi et Khalil Moutran et d’autres qui dénoncèrent le caractère limité de la forme romanesque et poétique du Proche-Orient. Voilà pourquoi, Al Akhtal Al Saghir dans son enfance et son adolescence et dans sa jeunesse lança deux écoles poétiques au Liban: L'Ecole romantique et le Symbolisme. C’est une personnalité très riche, en lui se côtoient la sensualité et le mysticisme, un certain réalisme et un souffle romantique assez original.
Vie et enfance
Bien que ville millénaire dont les monuments romains sont d’un grand intérêt, Beyrouth était en 1885 une "Willayat" de l'Empire Ottoman. A quelques kilomètres de la capitale libanaise dans un décor merveilleux, nous découvrons le littoral libanais et les plages dorées dont l’eau cristalline attirent les baigneurs. A cette époque Beyrouth conservait le charme de ses vieilles rues et de des demeures antiques qui contrastent avec les constructions modernes. C’est donc à Beyrouth que le poète Béchara El Khoury vit le jour en 1885. Les Ottomans, maîtres de la région, cherchaient par tous les moyens à appauvrir la population et à imposer le service militaire obligatoire, pour sauver leurs propres soldats et leur sultan.
Quant au "Petit Liban", il jouissait à l'époque d'une certaine autonomie et avait ses propres lois. Voilà pourquoi, Abdallah Khoury père de notre grand poète quitta secrètement Beyrouth avec sa famille et vint s'installer à Sarba (Kesrouan) fuyant ainsi la terreur ottomane et le régime militaire de la Sublime Porte. Signalons à cette occasion, que les ancêtres de Béchara El Khoury sont originaires de Ehmège, un village situé dans la haute région de Jbail. Son père qui pratiquait la médecine de "Ibn Sina" (Avicenne) avait une excellente réputation.
"Béchara débuta sa vie d'écolier, nous dit Abdel Latif Charara, écrivain et critique littéraire, à l' âge de sept ans au collège des Trois Docteurs appartenant a l'archevêché grec orthodoxe de Beyrouth.
"A l'age de 14 ans, il entra au collège de la Sagesse et avait comme camarade de classe Jibran Khalil Jibran et comme professeur Chibli Mallat. Enfin il acheva ses études, secondaires au collège du Sacré-Coeur des Frères des Ecoles Chrétiennes.
"Béchara El Khoury était doué d'un pouvoir de création étonnant. Ayant tendance à la rêverie, il était de caractère timide mais avait une puissante imagination depuis les bancs de l'école, il devait témoigner, toujours selon Abdel Latif Charara, d'un goût sûr pour la poésie, et d'une tendance au réalisme, à la compassion et surtout d'un besoin inné de se pencher sur les maux d'autrui, sur les profondeurs de l'âme humaine".
"Al Akhtal Al Saghir"
Nous savons tous que le courant impétueux de libéralisme et de patriotisme qui soufflait sur la vallée du Nil incita beaucoup de jeunes Libanais à l'émigration vers le pays des Pharaons. D'autres décidèrent contre vents et marées de mettre leur plume au service de leur patrie et cela de deux façons: d'abord en éveillant les consciences et en poussant les Libanais à poursuivre leur lutte contre les Ottomans ensuite en faisant connaître au monde ce qui se passait de l'autre côté du Bosphore et dans les milieux officiels de la Sublime Porte. C'est ainsi que Béchara El Khoury débuta sa vie de journaliste par une brillante série d'articles et de poèmes patriotiques sous un nom d'emprunt "Al Akhtal Al Saghir".
Signalons à cette occasion qu'au temps des Califes Omeyyades l'unique poète chrétien qui était autorisé à se présenter devant le Calife en tenue ordinaire ayant une croix sur sa poitrine s'appelait "Al Akhtal" (L'impudent, le cynique) à cause de ses poèmes et discours acerbes et mordants. Or Béchara El Khoury, à la suite de ses attaques contre les Ottomans et de ses poèmes où il réclame l'abolition de l'un des régimes les plus pourris et les plus tyranniques que le Liban ait jamais connu, surtout durant la Première Guerre mondiale et sous l'occupation militaire de Jamal As Saffah était considéré par les pays arabes le "Petit Akhtal" qui ne craignait nullement la potence et qui inventait des thèmes originaux, empruntés à l'histoire de notre pays dont le sujet touche principalement une idéologie telle "La liberté" et "L'amour de la patrie"
"Al Bark"
Le souffle journalistique et la personnalité de Béchara El Khoury ont beaucoup contribué à la réalisation du rêve le plus cher du peuple libanais: L'indépendance et la liberté. Son style propre, le champion de la poésie et du journalisme du "Petit Liban" et du Proche-Orient arabe, l'a solidement adapté aux systèmes des valeurs et des alliances du monde libre.
C'est ainsi qu'en 1908, il fonda le quotidien arabe "Al Bark". Tous les penseurs et écrivains libanais et arabes écrivaient des articles de fond et des éditoriaux sensationnels dans "Al Bark". Parmi eux figurent Khalil Moutran, les Takieddine, Mohamad Rachid Rida, Yacoub Sarrouf, les Boustany et d'autres.
En 1925, "Al Akhtal Al Saghir" fut élu président du Syndicat de la presse.
Le journaliste
Les multiples visages du Liban, la variété de ses régions pittoresques, la position de trait d'union entre l'Occident et l'Orient donnent à toutes les cultures de notre pays une originalité et une richesse inconnues dans le reste du monde. C’est pourquoi la presse libanaise ne peut échapper à cette règle et le fondateur propriétaire d'"Al-Bark" présentait à époque les multiples aspects de cette presse, reflets d’abord des communautés libanaises, puis des différents partis anti-ottomans qui lutaient secrètement contre la présence de la Sublime Porte dans notre pays.
Béchara El Khoury, journaliste, disposait à la veille de l’année 1908, de précisions assez nombreuses sur certains aspects particulièrement complexes et délicats qui touchaient directement à la vie politique ottomane, à l'avènement révolutionnaire et historiques des "Jeunes Turcs" ainsi qu’au régime constitutionnel nouvellement établi après le renversement du trône ottoman. A la suite de ce bouleversement au sein de l'Empire Ottoman "Al Akhtal Al Saghir" fut appelé à jouer un rôle extrêmement efficace à travers la presse du Petit Liban. Il fit preuve d'un patriotisme rare et d'une étonnante éloquence. Il rédigeait des articles mordants et violents, présidait des réunions secrètes et accueillait dans son bureau à Beyrouth tous les amis et les personnalités libanaises et arabes libres en vue de former une sorte de résistance assez solide pour déchaîner une véritable révolution sociale.
Son libéralisme et son objectivité l’ont conduit à l’exil dans un village du Petit Liban, Rayfoun, où il échappa à la colère des Ottomans. Son journal "Al Bark" devait par la suite être suspendu.
Voici quelques extraits de ses articles rédigés en 1910 et 1911 dans "Al Bark".
"O Hind, O ma belle, mon unique rêve c’est de respirer l'air pur de la montagne libanaise emportant avec lui le doux parfum de la liberté. Je n'ai pas peur de ce que j'ai à dire. Vous devinez certes, que ma sensibilité m’oriente un peu trop vers de nouveaux horizons, vers une nouvelle vie pleine de charme et de sérénité. C'est l'odeur des gens libres qui m'intéresse, leur comportement, leur vie paisible et heureuse en cette montagne sacrée du Petit Liban. Je souffre terriblement de cette hostilité manifestée par la sublime Porte à l'égard de nos compatriotes, de notre jeunesse et de nos penseurs et écrivains.
"O Hind, le rossignol qui reçoit chaque matin avec son chant ensorceleur, les doux rayons du soleil, apporte une nouvelle preuve du rôle constructeur de la liberté et de la vraie joie."
Dans un autre article, il s'adresse à une seconde muse, May:
"O ma chère May, je vis dans un monde clos, les murs ont des oreilles, je me sens prisonnier et je risque d'étouffer. Tu me connais bien et tu devines mon angoisse. J'ai grand besoin de l'air pur, de l'air libre, la campagne du Petit Liban ne me sourit plus, je suis noyé dans le pessimisme, l'ombre de l'injustice m'écrasé, c'est un monde ou l'être humain n'a aucune valeur. La terreur rayonne partout, tout est âpre sans amour. Notre vie humaine sera toujours, trop courte pour qu'on y trouve le bonheur.
"Notre unique salut dépend d'un réveil du mouvement anti-ottoman qui jettera les bases de la nouvelle phase de notre résistance; je ne saurais te décrire davantage, ma chère May, le tableau de la catastrophe morale et sociale qui se produit quotidiennement sur le sol de notre Liban".
Le poète
L'école romantique libanaise est une des plus jeunes du Proche-Orient. Indépendamment de la littérature orale, qui se manifestait au XVIème et au XVIIème siècles en haute montagne et qui s’exprimait dans les couplets, les karradés et les chants populaires, et sous d'autres formes, son contenu était la tradition et le folklore. Ce n’est que dans le premier quart du XIVème siècles que l'on assiste aux débuts de l'évolution poétique libanaise. C'est précisément entre 1880 et 1939 que la poésie typiquement libanaise commence à se développer sous une forme officielle. On proposait une poésie au ton patriotique ou lyrique, qui exaltait le paysage et la nature du Liban, une poésie imprégné de mélancolie et des souvenirs de la terre natale et qui s'attachait à définir la psychologie libanaise durant et après l'occupation ottomane et la Première Guerre mondiale.
Cette fièvre créatrice, cette explosion lyrique ou patriotique atteignirent leur point culminant avec "Al Akhtal Al Saghir", Said Akl, Salah Labaki, Elia Abou Madi, Elias Abou Chabki et d'autres. Il est certain que le souffle romantique occidental avec chateaubriand, Musset, Vigny et Lamartine a eu une influence marquante sur nos poètes et hommes de lettres.
C'est ainsi que Béchara El Khoury fit appel dans ses poèmes au thème patriotique qui eut à l'époque un grand succès. Il porta, en outre, sa poésie aux plus hautes cimes et parlant de l'amour du Liban, de la liberté et de la justice.
Les poèmes de Béchara El Khoury sont vibrants, imagés, énergiques, et la note la plus saillante est le souffle romantique par le fond. Sa poésie est également sensuelle et elle présente beaucoup de couleur, de variétés et parfois une vaste fantaisie.
D'après Abdel Latif Charara et Salah Labaki, c'et avec lui que le lyrisme et le patriotisme atteignent leur expression la plus haute. "Al Akhtal" a souvent cherché à cerner l'identité de son "Petit Liban" contre l'influence ottomane et les intrigues de la Sublime Porte.
Voici quelques strophes tirées de son diwan portant sur l'amour et la sentimentalité:
"A Hind...
Je te donne un amour qu'aucun amour n'imite
Des jardins pleins de vent et des oiseaux des bois
Et tout l'azur qui luit dans mon coeur sans limite,
Mais resserré sur toi
Et puis te voir enfin venir entre les palmes
Innocente, assurée, sans crainte, les yeux calmes
Alors saisir tes mains, comme la brusque chèvres
Mord la fleur de cerisier et les yeux clos
Avoir pour la première fois
Bu l'humble tiédeur qui dort entre tes lèvres.
Ou bien encore:
"... Mon épaule meurtrie et ta tête pesante
Ce sont tes lèvres sur tes dents
Qui rendent mon destin hagard
... La vive et secrète aisance
Des belles veines de tes mains".
Apres de tels excès, le désir est bien éteint et l'on sent cette déchirure profonde de l'être humain.
"Plaisir, terme des choses
Accostage de l'être avec l'éternité
Plénitude, désert, ravage, immense pause
Pourtant après ce long plaisir
Tout nous parait paresse et loisir".
Béchara El Khoury et la nature
"Al Akhtal Al Saghir" se distingue par une fièvre créatrice portant sur la nature du Liban et sur les beaux paysages et les vallées verdoyantes qui donnent à notre pays un cachet singulier et romantique. C'est en ce sens que l'on rencontre à travers les poèmes de notre grand poète des descriptions et des souvenirs de la montagne et des villages typiquement libanais. "Al-Akhtal Al Saghir" s'attache également à définir la psychologie libanaise durant la Première Guerre mondiale. Or, cette explosion lyrique et patriotique a atteint son point culminant dans ses deux "Diwans": "L'amour et la jeunesse" et "Les poèmes d'Al Akhtal Al Saghir". C'est ainsi qu'il porta sa poésie aux plus hauts sommets de l'émotion patriotique et lyrique. Ses thèmes sont des thèmes fondamentaux de la poésie sensuelle et romantique: l'amour, la vie, la mort. On peut affirmer, en outre, que Béchara El Khoury (poète) demeure le chantre passionné de notre pays. Sa poésie est imprégnée également de romantisme et de symbolisme. "Al Akhtal" chante le bois, la mère, les fleurs, les sommets de nos montagnes, les rochers de Rayfoun où il était caché durant la Première Guerre mondiale. On ne peut, certes, s'empêcher de s'émouvoir au contact de cette poésie baignée de rosée printanière.
Voici un extrait de ses poèmes traduits de l'arabe:
"Je vois le gel se fondre malgré lui au premier lever du soleil d'avril, et les monts rire après la cruelle giboulée... J'entends ce chant d'eau si cher à la terre adoucie par les derniers rayons du coucher de soleil. Le printemps n'a pas soumis à mes oreilles les rimes et les murmures qu'il réserve aux ruisseaux et la mer survolée par les oiseaux migrateurs est restée muette et miroitante, tandis que Sannine blanchi par la neige printanière, surveille de loin, majestueusement, les plages sablonneuses et dorées de la côte mouvementée et palpitante".
On remarque aisément dans les poèmes de Béchara El-Khoury un équilibre entre la logique et le rêve. Il est romantique sous bien des aspects et classique à la fois. Parfois on rencontre des thèmes dramatiques surtout quand il cite dans certains poèmes les siècles de misère et d'oppression qui furent le lot du Liban. Il cherche ainsi l'histoire de notre pays et son avenir; ceci nous mène d'après le poète à faire du Liban un pays extrêmement attachant, accueillant. Disons enfin que Béchara El Khoury est parmi les premiers poètes libanais contemporains a avoir lancé le premier cri en faveur des traditions libanaises.
"Al Akhtal Al Saghir et la femme"
Parcourir un recueil de Bechara El-Khoury est toujours un plaisir. Sa poésie toute située au niveau des feuillages et des eaux claires, installée dans la quotidienneté de la vie, prend une allure nouvelle et familière lorsqu'il aborde le problème de la femme libanaise surtout à une époque où elle n'était pas encore émancipée. Il voulait libérer la femme orientale du poids qui pesait sur son rang social et culturel. Il prêchait souvent dans "Al Bark" et dans ses poèmes la liberté et l'égalité des droits de la femme. Il avait eu assez de verve et d’imagination pour déchaîner une véritable révolution sociale féminine libanaise. Ce qui le révolte surtout, c'est l'état misérable du milieu social féminin oriental, la vie privée de la femme à un moment où l'analphabétisme était encore partout. Toutefois, ce grand poète laissa une série de poèmes lyriques, témoignage de son immense talent. Sa muse s'appelait parfois Hind, Daad ou May. Elle était belle, charmante et ensorceleuse:
A May:
"Tes yeux et la rondeur de ton visage enchantent mon âme
Et ta voix douce remue mon coeur endormi
Et la nuit aux lèvres bleues
Bave un mouvant sillage
D'étoiles dans tes cheveux".
A Wadad:
"O mon unique muse, la douce partie de mon âme
Tu es le chant de mon coeur
Et le reflet de mes tendres poèmes
Tes vingt ans ajoutent une nouvelle gamme
Au doux sourire printanier qui naît à l'instant même
Je n'ai besoin que de toi
Qui n'a besoin de personne".
Le poète épique
Au XIXème siècle, tous les poètes libanais et arabes avaient tendance à donner aux théories classiques et aux genres antiques une importance capitale. "Al Akhtal Al Saghir" voulut se libérer du classicisme abstrait et en même temps ne s'est point désintéressé de l'histoire au profit exclusif de celle du "Petit-Liban". Il introduit l'épopée dans son "diwan". Le thème de ses nombreux poèmes épiques se réduit à un ensemble de surprises noyées dans l'ironie du sort et l'injustice sociale, ou bien dans un certain érotisme destructeur et mortel (le tuberculeux) ou bien encore dans le cadre de la Première Guerre mondiale.
Signalons à cette occasion que Khalil Moutran, Chibli Mallat, Amine Takieddine et Cheikh Abdallah Boustany avaient déjà publié des poèmes épiques et évoquèrent les amers souvenirs des jours sombres au Liban sous l'occupation ottomane ainsi que des poèmes narratifs pleins de charme et de vie.
"Le tuberculeux"
Dans ce poème, Al Akhtal décrit la vie intime et amoureuse d'un jeune homme victime de ses relations sentimentales et sensuelles avec une jeune et séduisante fille publique qui est la cause de ses malheurs et de sa mort. Le poète a pris pour ressort de son thème concernant le "tuberculeux" le sentiment, la passion aveugle et meurtrière, l'insouciance des jeunes et l'appel de la chair. Il se lamente sur le sort de cette jeunesse libanaise noyée dans l'érotisme et la luxure et il nous donne les conseils et les remèdes susceptibles de rendre meilleur l'avenir de note jeunesse.
Voici un résumé du poème intitule "Le tuberculeux":
"Un jeune homme, beau et plein de santé, mais sans famille et sans abri, rencontre une jolie fille de mauvaise réputation. Elle le séduit et réussit à l'inviter dans son appartement prive ou le pauvre jeune homme fut dévoré d'une chaleur brûlante, tantôt glace par un frisson pénétrant, tantôt s'agitant sans cesse. C'est ainsi que le jeune amoureux débute sa nouvelle vie d'aventurier.
"Apres plusieurs rencontres amoureuses, il s'adonna à la boisson et à l'amour. Les baisers et les scènes obscènes qui s'en suivaient ne faisaient qu'augmenter l'appel de sa chair assoiffée. Les jours et les mois passent et les deux amoureux vivent dans un monde de rêves et de plaisirs sans bornes.
"An bout d'un an, les roses commencent a se faner, et le jeune homme tombe gravement malade mais il ne se rend nullement compte de la gravite de son cas. Il reçoit régulièrement sa maîtresse qui le soulage autant que possible, et qui en même temps, lui parle de leur première rencontre et des veillées amoureuses passées ensemble."
"Un beau matin, ce jeune aventurier se trouve dans l'impossibilité de se lever et son visage change de couleur. Il sent une douleur atroce à la poitrine et ses beaux yeux se referment souvent sur un monde de souvenirs des plus doux. Ses mains tremblent comme les feuilles mortes de l'automne, et de sa bouche blanchâtre et sèche le sang coule de temps à autres".
Enfin le poète nous décrit les derniers moments du jeune amoureux:
"A peine il arrive à bouger, ses lèvres sont pendantes et immobiles; quant à sa bien-aimée elle le néglige complètement et le fuit. Hélas, tout est fini pour lui, il meurt appauvri, sans parents ni amis, il avait à peine vingt ans."
Dans ce poème, Al Akhtal Al Saghir s'inspirant de la triste réalité de la situation désastreuse de notre jeunesse à l'époque, a voulu tirer une conclusion et inviter cette jeunesse à éviter la boisson, la fréquentation des filles publiques pour ne pas subir le sort du tuberculeux.
Le lyrisme de Béchara El Khoury
"Al Akhtal Al Saghir" nous a laisse une multitude de poèmes lyriques et épiques et d'articles émouvants sur la vie sociale libanaise surtout durant la Première Guerre mondiale. En outre, dans son épopée intitulée "L'an 1914" il relate les faits et la misère noire du peuple libanais ainsi que la terreur qui rayonnait partout. Entraîné par son goût pour les lettres et la poésie, il ne tarde pas a publier ses deux goût pour les lettres et la poésie; il ne tarde pas à publier ses deux "Diwans", aussi partage-t-il son temps entre son labeur acharné et les lettres. Signalons que son talent poétique, sa modestie et son amabilité lui valent beaucoup d'amis au Liban et au Proche-Orient arabe. Parmi ses poèmes les plus appréciés et les plus interprétés par son ami, le meilleur chanteur de l'époque, Mohamad Abdel Wahab: "L'amour et la jeunesse", "Le poète et les oiseaux", "La beauté et la jeunesse", "Ses paupières amoureuses", "Hind et sa mère".
Tous ces poèmes furent accueillis assez favorablement par le grand public libanais et étranger. Jeunes et vieux les ont appris par coeur et les récitent constamment.
"Al Akhtal Al Saghir" composait de ces rimes charmantes. Toutefois il n'acquit sa réputation qu'après la publication de ses écrits et "Diwans" concernant cette vague d'injustice et d'esclavage provoquée par la Sublime Porte. Voilà pourquoi il n'avait eu d'adversaires plus acharnés et d'ennemis plus implacables que les Ottomans. Hélas, sa flamme s'avère incapable de freiner la colère de Jamal As-Saffah. Quant à son souffle lyrique, on y goûte la délicatesse de sentiment et la vivacité de l'imagination. Il a spiritualisé l'amour. La beauté, à ses yeux, et la source intarissable de l'éternel amour.
"Soulaima"
C'est le titre d'un poème lyrique où le poète chante la plus pénétrante de ses impressions, son amour assoiffé, ses lamentations et où l'on sent une réserve inépuisable de douceur et de sentimentalité à l'égard de sa muse:
"Qu'on lui annonce ma mort et qu'elle sache que mon grand amour pour elle me conduisit au tombeau...
"Qu'on lui parle de notre passé, peut-être versera-t-elle quelques larmes sur ma tombe...
"Qu'on la conduise au seuil de ma dernière demeure, car mes os désirent ardemment qu'ils soient piétines par ses fragiles pieds".
Conclusion
Par son étonnante faculté de réflexion et son assurance précoce, par son intelligence vive et sa perspicacité, Béchara El Khoury a réconcilié la poésie avec les désirs du peuple libanais. Il est important de noter qu'en 1930, son journal "Al Bark" fut suspendu par un décret du haut-commissaire de la République française au Liban, à la suite d'un poème sensationnel déclamé à Bagdad lors de la cérémonie des funérailles du roi Fayçal 1er, dans lequel "Al Akhtal" a défendu courageusement la cause de notre pays et sa liberté ainsi que celle des pays arabes frères.
En 1961, il a été élu à l'unanimité le Prince des Poètes de tout le Proche-Orient arabe, par tous les délégués des Pays arabes qui furent invités le 4 Juin de la même année par le ministère de l'Education nationale et par la presse libanaise à une cérémonie officielle préparée à cette occasion. En 1968, Béchara El Khoury fut élu président de l'Ordre de la presse libanaise. Il décéda le 31 Juillet de la même année.
D'imposantes obsèques lui furent faites. La ligue arabe ainsi que tout les pays arabes avaient envoyé des représentants officiels pour assister a ses obsèques. Son corps fut exposé à l'Université libanaise où des milliers de personnes libanaises et étrangères défilèrent devant sa dépouille.
Béchara El Khoury était un excellent chef de famille. Bon, affectueux, et humain. Il était parfois agressif mais très sociable. Il était le fils choyé de "Bkerké" et le patriarche maronite avait une confiance aveugle en lui.
En 1920, il fit la connaissance d'une gracieuse jeune fille Adèle Khalil Fadel qui devient sa femme. De cette union naquirent quatre enfants: Abdallah (Avocat et poète), Wadad, Joseph et Naji.
"Al Akhtal Al Saghir" voyait sa muse (sa femme) partout. Son regard sa voix, sa démarche et sa grâce, tout éveillait chez lui, cet attachement sincère et profond à celle dont l'absence et l'éloignement provoquaient chez lui une grande mélancolie.
Disons enfin que le souffle poétique de Béchara El Khoury nous apporte à l'heure actuelle un chant galvanisant. Tous ceux qui ont approché ce grand poète et écrivain journaliste, se souviennent de l'extraordinaire douceur qui émanait de lui. Ses yeux cachés par ses lunettes blanches brillaient d'une flamme intérieure qu'une foi sans défaillance alimentait aux sources les plus pures de l'être. Cette flamme, cette foi, ce patriotisme et cette tendresse nous les retrouvons dans ses deux "Diwans" qui sont une image fidèle d'une âme typiquement libanaise.
Joseph Sokhn - Couleurs Libanaises, Beyrouth